Entrée en vigueur en février 2012, la loi sur l’emploi local impose aux recruteurs d’embaucher, à compétences égales, en priorité un citoyen et à défaut un résident. L’objectif affiché étant de permettre aux Calédoniens d’accéder à des postes qualifiés et de favoriser la main d’œuvre locale. Douze ans après l’entrée en application de cette loi, quel est le bilan de son efficacité ?

 

La loi sur l’emploi local a-t-elle porté ses fruits ? Douze ans après son lancement, pas facile d’évaluer son impact sur l’emploi des locaux. De fait, les statistiques manquent. Par exemple, il n’existe pas d’outils pour estimer le nombre de citoyens embauchés par métier. Pour l’heure, on sait simplement que les entreprises n’ont pas attendu ces textes pour embaucher localement puisqu’au dernier recensement (2019), 84 % des emplois étaient pourvus par des citoyens ou des personnes justifiant de 10 ans de résidence, contre 77 % en 2011. Par ailleurs, les entre prises trouveraient chaussure à leur pied localement sans trop de difficultés lorsqu’elles recrutent.

 

Quel est le principe de la loi ?

L’embauche d’un citoyen de la Nouvelle-Calédonie est la règle. À défaut d’un citoyen, à compétences égales, l’employeur doit recruter une personne justifiant d’une durée suffisante de résidence.

 

Peu de contestations d’embauches

En charge de la bonne application de la loi depuis 12 ans, la Commission Paritaire pour l’Emploi Local (CPEL) dénombre seulement une vingtaine de dossiers de carence de candidature par an. Chaque année, elle n’enregistre par ailleurs que de rares contestations d’embauche d’un travailleur "exogène" : 2 par an au cours des dernières années. Un chiffre bien faible au regard des milliers de déclarations d’embauches notifiées chaque mois à la CAFAT. "L’activité de la CPEL est en baisse, confirme le Medef NCce qui semble montrer le peu d’intérêt du dispositif. Nous sommes passés de 124 saisines en 2012, à 54 en 2019 et 21 en 2022 pour, au final, 18 avis rendus, dont 13 carences et 5 refus. Le nombre de saisines suite à une demande de contestation d’embauche a été nul en 2022 et est extrêmement faible".

 

Aucune contestation d'embauche en 2022 

Selon les syndicats de salariés, ces données sont en dessous de la réalité. En effet, ces saisines ne peuvent être effectuées que si les entreprises sont passées par le circuit légal, c'est-à-dire si elles ont au préalable déposé leurs offres d'emploi auprès des services de placement (SEP en province Sud, Cap Emploi dans le Nord et Epefip aux Loyauté), comme le requiert la loi. Ce qui est loin d'être systématique. Ainsi, près de 90% des offres d'emploi ne seraient pas déclarées. La plupart du temps, les entreprises trouvent facilement des citoyens ou des résidents à embaucher et s'estiment ainsi dispensées de la formalité du dépôt d'offre d'emploi. Les sanctions prévues à leur encontre s'appliquent rarement et les poursuites de l'administration s'arrêtent en général aux mises en demeure.

Le TAP nécessite une nouvelle mise à jour

Le tableau des activités professionnelles (TAP) fixe la durée de résidence requise par métier sur le territoire pour occuper un emploi non pourvu par un citoyen calédonien. Non mis à jour pendant 11 ans, alors que la loi prévoyait une révision annuelle, ce document vient d'être réactualisé, "mais dans des conditions qui ne nous conviennent pas", objecte le Medef NC. Parmi les reproches adressés par l'organisation patronale au travail effectué : "des critères non objectivés, des délais trop courts pour que les entreprises aient pu être efficacement consultées, des allongements aberrants pour certains métiers comme conducteur de travaux, géomètre ... et des remarques issues des organismes de placement qui n'ont pas été prises en compte», détaille Cédric Faivre, délégué général du Medef NC.
Selon lui, "il est urgent de réviser à nouveau le TAP, en privilégiant une approche branche par branche". 

 

Un observatoire de l'emploi à l'horizon 

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie adopté un projet de loi du pays visant à créer un Service Public de l'Emploi et du Placement (SPEP) pour améliorer la coordination et l'accessibilité aux services d'emploi. Si le texte doit encore être voté par le Congrès pour entrer en vigueur, il prévoit la création d'un observatoire centralisé pour collecter, traiter et diffuser des informations sur le marché local de l'emploi. 

Des données aujourd'hui difficiles à obtenir, faute d'outil partagé entre les instances et collectivités. De quoi instaurer notamment "un suivi de l'emploi local", selon Thierry Santa, membre du gouvernement en charge du secteur. De fait, ces données permettront de mettre à jour le tableau des activités professionnelles (TAP). "Le SPEP est une première étape mais on voit bien en cette période de crise qui nécessite une diversification de l'économie que l'absence de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) se fait cruellement sentir". 

Le Medef NC note par ailleurs que "le rôle de la CPEL au niveau de la formation n'est pas exercé". La CPEL constate elle-même qu' "un manque de cadrage avec les acteurs de la formation professionnelle et l'absence de données statistiques n'ont pas permis à la commission de préconiser des actions de formation. Une synergie faible se remarque entre la CPEL et les acteurs de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle". En l'état actuel, la loi sur l'emploi local semble donc montrer ses limites en termes d'application. Elle peine aujourd'hui à répondre aux problématiques d'un marché de l'emploi qui a considérablement évolué. Établie sur la notion de citoyenneté, il est fort à parier que la loi sur l'emploi local soit redéfinie par le nouveau statut qui émanera des discussions institutionnelles. 

 

Des changements dans la déclaration préalable à l'embauche 

De 2012 à 2019, la CPEL a remarqué dans ses rapports d'activité que les sources statistiques existantes ne permettaient pas de mesurer les dispositions de l'emploi local. Une délibération répondant à cette problématique a donc été adoptée en 2019 et modifie le formulaire de la déclaration préalable à l'embauche. Désormais, il est obligatoire d' introduire dans ce même formulaire les mentions du numéro de dépôt d'offre d'emploi, la citoyenneté et la durée de résidence en Nouvelle-Calédonie. Ceci est un indicateur qui permet de mesurer la part du marché du travail depuis 2019 représentée par les citoyens calédoniens et par les personnes ayant une durée de résidence suffisante sous réserve d'avoir les données disponibles. En 2020, un logiciel IRA a été conçu par le gouvernement dans l'objectif de travailler en mode collaboratif, "mais en 2022, ce logiciel n'a pas permis à l'ensemble des membres de communiquer entre eux de manière efficiente", souligne le Medef NC.

 

La loi sur l'emploi local : un frein à l'attractivité, selon le Medef NC

Pour le Medef NC, la loi sur l'emploi local n'a pas vraiment lieu d'être. "Le principe d'avoir un dispositif pour protéger l'emploi local n'a pas beaucoup de sens car à compétences égales, aucun employeur ne privilégiera un "non" citoyen qui lui coûtera plus cher (recrutement, déménagement..), tout en sachant que la greffe n'est pas sûre de prendre", assure Cédric Faivre, délégué général du Medef NC. Pour l'organisation patronale, la véritable question est "la trop grande rareté des compétences et le manque d'attractivité de la Nouvelle-Calédonie". A ce point de vue, les mesures sur l'emploi local constituent un frein. De fait, "il est difficile d'attirer sur le territoire une compétence nécessaire qui n'est pas disponible si son/sa conjoint ne peut pas travailler", indique le délégué général. 

 

Un lien avec le ralentissement de l'économie ?

L'organisation patronale note par ailleurs que "la mise en place de la loi sur l'emploi local en 2012 coïncide avec la période où la Nouvelle-Calédonie a vu son économie ralentir, stagner, puis entrer en récession et dans la crise inédite dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Ce n'est peut-être pas une coïncidence dans la mesure où le pilier d'une économie en bonne santé est d'avoir à disposition les compétences qui permettent aux entreprises d'être compétitives. 

Tout le monde s'accorde sur la nécessité de rendre la Nouvelle-Calédonie plus attractive pour attirer les investisseurs qui pourront remettre notre économie sur de bons rails. La loi sur l'emploi local est un signal contraire qui n'a jamais démontré ses effets bénéfiques", soutient le délégué général du Medef NC, qui en est convaincu : "Mettre une économie sous cloche n'est pas une solution efficace pour permettre le développement économique. L'apport de compétences extérieures est un stimulant efficace pour opérer un transfert de savoir-faire et permettre de monter le niveau des compétences locales. Bénéficier de l'apport d'expériences extérieures est impératif pour ne pas décrocher en terme de compétence au risque de décrocher également en termes de compétitivité". 

 

La compétitivité repose sur les compétences

L'organisation patronale rappelle par ailleurs que "le financement de notre système de protection sociale repose aujourd'hui principalement sur les cotisations sociales et que le fait de disposer de plus d'employés surtout quand ils plus qualifiés et donc mieux rémunérés permet d'augmenter les ressources de notre système social, ce qui bénéficie à l'ensemble des Calédoniens".

La question principale reste la compétitivité et la crise des usines métallurgiques nous le rappelle cruellement. Celle-ci repose sur les compétences ... "La priorité est de faire grossir le gâteau plutôt que de réglementer comment on répartit les parts". Et Cédric Faivre de raconter : "Il est très fréquent que nos adhérents nous disent que le développement de leurs activités est limité par leur incapacité à recruter les compétences dont ils ont besoin. La relance économique que chacun appelle de ses voeux va nécessairement impliquer le recours à des compétences extérieures. Alléger les procédures administratives en la matière faciliterait les choses. Les territoires se battent pour attirer les talents. La Silicon Valley a bâti son succès en déroulant le tapis rouge à la génération émergente à l'origine de la révolution numérique. Au contraire, la Nouvelle-Calédonie a choisi de se "préserver" des compétences externes ... avec le succès qu'on connaît".

MEDEF NC

Vanessa Caumel
Responsable Juridique et Relations Sociales